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Interview de Charles Eric Charrier – Slappytozine 12 - Interviews

Publié par le
17/04/2012
15003 vues

Interview partie 1

Q : Bonjour Charles, Comment vas-tu ?


Ça va.

Q : Parfait, je vais te demander de nous décrire ton parcours musical.

J'ai commencé à jouer de la musique dans les années 80. J'étais assez jeune, j'avais monté un groupe avec des copains qu'était plutôt influencé par le punk et des trucs comme Joy Division. Très vite, on a rencontré trois mecs qui faisaient de la musique avec des réveils, des plaques de taule, etc, on était très emballés par leur musique et on a fusionné les deux groupes. On a fait un truc qui s'appelait Nogodada, ça a duré 7 mois et ça a très bien marché, on a très vite fait une grande scène. Ce fut très fondateur pour moi car on était très libre, on y connaissait rien et on faisait ce qu'on voulait. On avait pas d'argent, c'était de la récup. On a fini par se rendre compte que Einstürzende Neubauten avait la même démarche dans un autre registre musical. Un programmateur nous a expliqué qu'on était un groupe no wave ce qui m'a permis de découvrir d'autres groupes. Après il y a eu Dreta Loreli avec le chanteur de Nogodada, groupe qui a duré 10 ans. On jouait une sorte de Cabaret electroacoustique mi expérimental mi chanson. Ensuite, pendant un an et demi, j'ai rien fait musicalement. Ensuite, fondation de Man avec Rasim Biyikli (qui continue maintenant le groupe en solo), le groupe a duré 10 ans tous les deux. J'ai quitté Man puis je suis parti dans mon aventure solo en prenant plusieurs noms, Charles C. Oldman, Oldman, etc... pour finir par me dire que mon nom me suffisait, je sors maintenant mes disques sous mon nom [Charles Eric Charrier]. J'ai fait pas mal de collaborations, ça m'intéresse beaucoup. [Notamment avec Neil Carlill, disque qui sortira cet été sur TwinDaisiesRecords] Avec le guitariste d'Astrïd, Cyril Seq [qui participe aux albums et concerts de Charles-Eric Charrier sur l'album Silver], nous allons fonder un groupe qui s'appelera FocusIng.

Q : Sur quel matériel joues-tu ?

Je joue sur une Washburn électro acoustique ¾ de caisse, l'AB 80, que j'ai acheté dans les années 80 et qui n'est plus produite. Je joue sur un ampli guitare Fender Tween 100W. Ainsi je n'ai pas un son spécifique de basse électro acoustique, mes deux cordes graves, mi et la, sonnent plus comme une basse tandis que la ré et la sol sonnent plus comme une guitare ce qui me permet de jouer plus sale tout en ayant un son bien défini. Je ne suis pas intéressé par un beau de son basse électro acoustique. Je cherche un son réel qui me correspond.

Q : Quelle est ta conception de la basse et quel rôle lui donnes-tu ?

(hésitation) Fin des années 60, début 70, même si ça existait avant, les bassistes ont commencé à jouer à la fois mélodique et harmonique, ce qui sortait la basse du rôle accompagnateur et cette démarche m'a beaucoup influencé.. J'essaye toujours de traduire des lignes de chants avec mon instrument. Il m'est également arrivé d'accompagner de manière traditionnelle des gens mais ça ne m'a jamais beaucoup intéresser. En fait, j'aime bien sortir les instruments du rôle pour lesquels ils sont prévus.

Q : Comment composes-tu tes lignes de basse ? Utilises-tu des techniques particulières ?

Depuis quelques années, je m'assois à une table, je joue et c'est le morceau qui me dit quand il est fini. Je ne tiens pas compte des styles rythmiques, harmoniques, musicaux, etc. ça ne m'intéresse pas. Quant à la technique je joue beaucoup avec les doigts, c'est un mélange de jeu arpégé et de jeu au pouce. D'ailleirs, je joue beaucoup au pouce, les sonorités qui en découlent sont variées et intéressantes. J'utilise très peu le médiator. J'ai besoin de la sensation physique dans les deux mains.

Q : Un bassiste favori ?

Plein. Le premier bassiste des Cure pour l'aspect mélodique, le bassiste des Stranglers, Charlie Haden, qui m'a fait comprendre l'importance du son. Alexander Hacke et Marc Chung de Einstürzende Neubauten. Marc Chung pour l'implication physique très puissante. J'écoute aussi des bassistes africains, de soul, de funk, c'est très large. Les bassistes de Gainsbourg aussi avec beaucoup de contrechants.

Q : Comment abordes-tu la composition ?

Depuis un certain temps, je me connais un petit peu mieux et donc je sais ce qui ne m'intéresse pas ou plus. La vie que je mène en tant qu'homme a une influence énorme sur la manière de faire les choses, pour moi, il s'agit de s'ouvrir en fait. Laisser advenir quelque chose qui me dépasse. Avant je composais d'une manière plus intellectuelle, c'était bizarre, c'était comme mettre la charrue avant les boeufs. Composer d'une manière intellectuelle pour au final arriver sur scène et pouvoir te lâcher. Donc je mets les boeufs avant la charrue (sourire) Y a pas de méthodes, certains disque je fais tout tout seul. Avec mes musiciens (il hésite) mes collaborateurs plutôt, je leur donne des thèmes, parfois le theme est imposé, ils ne doivent pas en sortir mais doivent trouver leur liberté dans ce cadre, s'émanciper.


Q : Comment choisis-tu tes musiciens ?

La plupart du temps, ça se passe humainement. Je me suis jamais dit « tiens je vais prendre cette personne là parce qu'elle joue bien », ça m'est jamais arrivé, ce qu'il m'arrive, c'est de rencontrer des gens et après m'apercevoir qu'ils sont bons (rires). J'ai aussi joué avec des mauvais musiciens.

Q : Tu as déjà eu des mauvaises surprises avec des musiciens ?

J'ai joué avec des mauvais musiciens mais des gens très biens et ça me plait beaucoup. La dextérité musicale, je n'en tiens absolument pas compte, ça peut aussi bien être un plus qu'un moins. Il y a des gens très inventifs qui ne savent pas jouer. C'est surtout important que les musiciens trouvent leur liberté dans le cadre que je leur propose.

Q : Comment leur transmets tu tes idées ? Tu écrits la musique ?

Non je leur joue un thème... Des fois ça peut partir avec un mot, une bribe de rythme, souvent c'est une ligne de basse. Souvent, je commence avec les batteurs et percussionistes, ensuite Cyril (Secq) arrive un peu après , souvent je le laisse jouer, je lui dit 2/3 mots avant, j'ai l'impression qu'il m'écoute pas, en fait il m'a très bien entendu (sourire). Je le laisse jouer et on élague, on enlève tout ce qu'est superflu, je garde l'essentiel par rapport à ce qui est advenu à la base.

Q : Quel rapport as-tu avec la musique modale ?

Il paraît qu'on en jouait beaucoup dans Dreta Loreli mais on le savait pas. C'est la mère d'un copain à nous, qui était prof de musique qui nous a expliqué tout ce qu'on faisait en fait (rires). Quand on a fondé Man avec Rasim, il m'a expliqué beaucoup de choses car il a une grosse culture classique/contemporaine. En fait, j'ai commencé à écouter des musiques africaines et orientales en même temps que le rock très jeune, au final, le concept de musique modale s'est imprégné en moi sans que je le sache.

Q : Est-ce que tu as un cursus musical particulier ?

Autodidacte. J'ai pris un cours de basse adolescent mais je me suis levé au milieu et je suis parti. J'ai eu l'intuition de développer mes défauts pour en faire un style. Les réflexions de mes amis m'ont également aidées à progresser même si il faut passer au dessus des vexations.

Q : Lors de ton unique cours de basse, tu t'es levé et tu es parti, ce que je ne cautionne pas mais tu donnes toi même des cours de basse, décris nous ta manière de voir l'enseignement et la place que l'improvisation doit y prendre.

Ça s'appelle jouer de la musique, ça s'appelle pas tricoter de la musique ou architecturer de la musique... Il faut jouer. Ecriture et improvisation, c'est la même chose, y a pas de différences, c'est un faux débat en fait. Quand on fait quelque chose, on sait pas trop d'où ça nous sort. C'est un faux débat, est-ce qu'il faut improviser tout de suite ? Oui, évidemment. Mon système pédagogique est d'écouter et de mettre le doigt sur les choses qui « empêchent de ». Si l'élève ressent le besoin de développer sa technique, on travaille les deux en même temps. Toujours essayer de mettre d'abord les boeufs et ensuite la charrue. Je pense qu'il est stupide de gaver des gamins avec un langage musical. J'écoute et la plupart du temps, je pose des questions aux élèves pour qu'ils cernent eux même leur blocage.

Q : Quels sont les compositeurs qui t'influencent ?

Il y a des gens et des groupes que j'aime beaucoup et d'autres dont je n'aime pas la musique mais je respecte le travail parce que je trouve ça super bien foutu.

Q : Des noms pour cette dernière catégorie ?

Les mecs qui bossent pour Britney Spears par exemple. Debussy pour certaines choses, ça me touche pas mais je trouve ça brillant. Après... (hésitation) Il y a des groupes ou gens qui m'ont bouleversé, qui ont changé ma vie. Einstürzende Neubauten, ce groupe est fondamental pour moi. Il reste quelques disques qui m'ont bouleversé.

Q : Deux trois noms peut-être ?

Gainsbourg, Talk Talk, Alla, Mamoud Ahmed, Neubauten, Suicide et les Sex Pistols pour des raisons extramusicales.

Q :En fait, t'es un punk !

Ce que j'ai pris du punk, c'est « t'as envie de le faire, fais-le ». Ce qui m'a impressionné chez Johnny Rotten, c'est la capacité d'un mec à peine sorti de l'adolescence, de laisser sortir tout de lui. Positif ou négatif. J'ai trouvé que c'était d'une générosité gigantesque, ce que je trouve très rarement dans la musique.

Q : Maintenant, on va parler de ton public : quel public touches-tu ?

(Rires) J'en ai strictement aucune idées. (longue réflexion) Ecoute, je vais te dire un truc, un jour sur google, je suis tombé sur un type qui voulait monter un groupe et qui me citait dans ses influences. Je vois pas ce que je peux demander tellement de plus. Ça m'a touché. [Fait amusant, ce type, c'était moi]

Q : Est-ce que ta musique est accessible ?

… T'as que des questions à la con ! (rires) (pause) Est-ce que ma musique est accessible ? Oui... Mais pas dans tous les magasins.

Q : Est-ce que t'as regretté d'avoir signé sur certains labels ? Ainsi, certains albums maintenant culte, comme le premier de Man, sont introuvables.

Regretter, non. Mais que certains dirigeants de label me déçoivent, oui. Le seul truc auquel je pense est un album que j'ai sorti en CD-R et que j'aimerais bien rééditer en CD.

Q : Est-ce que tu privilégies maintenant de travailler avec des labels locaux ? Par exemple, tu travailles avec JointVentures Records (« Oldman » en 2011), et TwinDaisies Records (une sortie cet été) qui sont tous les trois des labels nantais.

J'ai pas d'a priori vis-à-vis de l'endroit où je vis, au contraire. Mais je me verrai pas me cantonner à sortir exclusivement sur des labels étrangers ou sur des labels locaux. Par exemple, le disque qui va sortir sur TwinDaisies avec Neil Carlill sort en collaboration avec un label Américain, Haute Magie, et je trouve ça super. Le tout premier album de Man est sorti sur un micro label nantais, le Lézard Elastique, donc oui j'ai jamais craché là dessus. Evidemment, certains labels donnent plus d'éclairage, comme SubRosa par exemple où tu changes de monde médiatiquement parlant. Pour moi, y a pas de petits ou de grands labels, y a des gens qui font ça sérieusement ou pas. 

 

  

 

Deuxième partie

Q : Le premier morceau de l'album Helping Hand de Man, You're In For It, est très particulier, ça commence comme un morceau dancefloor, je pensais au début que je m'étais trompé de morceau. Pourquoi avoir fait un tel morceau avec Man, qui est plutôt orienté, post rock/expérimental/electro acoustique ?

Le propos, c'était pas de faire un morceau dansant, c'était de faire comme un film, se retrouver dans une boîte de nuit, observer quelqu'un est dans la perdition, mais la perdition en rose, pas un truc destroy dramatique. En fait, la forme n'a pas d'importance pour moi, c'est vraiment ce que ça véhicule qui est important. On ne s'est pas posé la question de comment les gens qui connaissaient Man allaient prendre ça. On s'en foutait. Le reste de l'album n'est pas rose et avec cette première piste, on annonçait directement la couleur.

Q : J'écoutais ce matin le morceau Sunny Afternoon African Charge de l'album Two Heads Bis Bis et j'ai senti une influence africaine au niveau de la ligne de basse. Charles, tu as inventé l'afro noise ?

Ça a rien à voir avec la musique africaine, franchement...

Q : J'ai trouvé que la ligne de basse avait une empreinte africaine...

(Blanc) Le propos formel du disque, c'est comme quelqu'un qui n'a jamais voyagé et qui rêve d'un continent, l'Afrique en l'occurrence, et il se trouve que c'est une Afrique purement fantasmée à la limite du surréalisme et c'est parti d'un conte que j'avais écrit. C'est deux têtes dans un marché africain, d'ailleurs il y avait pas de villes, pas de pays, et elles sont en train de se parler et ne se sont pas aperçues qu'elles sont mortes. Et ils espèrent que l'été prochain, il fera meilleur donc tu vois, c'est pas de la musique africaine. C'est un fantasme d'Afrique. Plus en profondeur, c'est quelque chose qui s'articule autour du chaos.)

Q : Je vais te parler du son de l'album, le morceau est construit sur un duo basse/batterie qui est enregistré d'une manière très particulière (mauvaise, lâchons le mot), la batterie est lointaine, on l'entends résonner, la basse est distordue, sans aucune profondeur...

Tout à fait.

Q : Pourquoi avoir choisi de l'enregistrer de cette manière ?

En fait, c'est un mélange d'enregistrements qui frôlent l'amateurisme, un SM57 posé au milieu de la pièce pour capter le duo basse/batterie avec l'ampli posé juste à côté de la batterie et le micro à 2 mètres du sol et le reste c'est hi fi et numérique [tous les re re de percus, de bruitages, de guitares, etc...] J'avais besoin de cette confrontation entre quelque chose d'hyper crade et mal enregistré mais où il y a énormément de jeu avec quelque chose de super clean, qui s'affrontent pour au final marcher ensemble. Donc oui la manière d'enregistrer la basse et la batterie est un choix délibéré et assumé, c'est pas par défauts.

Quant à notre manière de fonctionner avec Ronan, je posais le micro par terre sans rien lui expliquer, j'ai commencé à jouer mes lignes de basse et il m'a accompagné.

Q : C'est étonnant, certaines réponses rythmiques basse/batterie sont très adroites, à la limite du casse-gueule, tout en retombant toujours sur vos pattes au final.

Oui mais Ronan, c'est un excellent batteur aussi. Et ça faisait aussi plusieurs années qu'on bossait ensemble donc il connaissait bien mon jeu.

Q : Je vais te parler d'un album que tu as produit : Gold & Wax de Lokka. Comparé aux autres efforts de Lokka (Eps, la deuxième album qui n'est pas encore sorti...), je trouve qu'on sent vraiment ta touche musicalement.

Je suis pas d'accord avec toi, j'aurais vraiment pas fait les choses comme ça.

Q : L'utilisation des field recording me rappelle ta musique.

Y a pas de field recording conscient, ce sont des field recording qui captaient l'ambiance des lieux où on se trouvait. C'est pas une volonté musicale. Et certains fields recording n'en sont pas. Ce sont des constructions par rapport au milieu d'où viennent les gars, à savoir le monde ouvrier. Moi je viens pas de ce monde là. Il s'agissait de... (longue pause) ...Par rapport à leur demande, de s'éloigner du fantasme et d'aller vers ce qu'ils sont vraiment. Ils avaient quelques morceaux prêts, des idées. Je leur ai proposé de tout mettre à la poubelle et de repartir de zéro. Et ensuite j'ai passé mon temps à les aider à accoucher de quelque chose. Mais il n'y pas d'influences musicales de moi, toutes les notes, ça vient d'eux. Je les ai simplement aidé à les articuler par rapport à ce qu'ils sont eux. Je les aidé à élaguer en leur posant des questions « Pourquoi tu joues ça ? », etc...

Q : J'ai terminé, tu veux parler de quelque chose en particulier ?

J'aimerais bien une clope (rires)

 

Tags : Slappytozine

7 Commentaires

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6 notes
Notes pour Interview de Charles Eric Charrier – Slappytozine 12 | Slappyto : 5/5 sur 6 notes
#7
13/05/2012 13:09:46
Si l'envie vous prend, je vous encourage à écouter le dernier album de Sidi Touré (bluesman malien) où la basse est de Charles-Eric Charrier. ça permet de découvrir son jeu dans un autre contexte, plus conventionnel, bonne écoute !

http://soundcloud.com/covalesky/sidi_toure-ni_s...
http://soundcloud.com/covalesky/sidi_toure-kal...
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#6
04/05/2012 17:09:33
Faudra que je prenne le temps de me pencher sérieusement sur ce gars
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#5
22/04/2012 03:57:58
Merci pour ton commentaire, ça fait plaisir  
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#4
22/04/2012 00:25:33
vraiment très riche ton interview   et en plus c'est super intéressant (pour peu qu'on s'intéresse au travail du monsieur... comme c'est mon cas)
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#3
21/04/2012 06:17:12
Je met ici quelques liens pour écouter et apprécier son travail :
12 From de l'album Silver
http://www.youtube.com/watch?v=oqClXhw6MoE

Oldman de l'album Oldman
http://www.youtube.com/watch?v=gUQMBfsGgh8

Dawn On The Morning Drive avec le guitariste et chanteur américain Neil Carlill de l'album 5 Little Elephants qui va paraître sur le label Twin Daisies Records cet été
http://twindaisiesrecords.bandcamp.com/track/dawn-on-the-morning-drive

Radio Self Echo I, morceau qui n'est encore paru sur aucun album
http://soundcloud.com/charlescharrier/radio-sel...
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